tiens rodo,j'ai retrouvé un ancien article du magazine "l'express" du 24/01/2008 sympa de travailler ensemble et surtout la passion
Une fois l'interview terminée,ils se sont mis au travail.Jean Giraud,crayon à la main,feuille sur la table.Zep,à son côté,lui lançant des idées.Concentrés.C'est que l'événement est d'importance en tout cas pour nous,à l'express. Le père de Blueberry et celui de Titeuf,deux des personnages les plus célèbres de la BD,main dans la main pour imaginer un dessin original (voir ci-contre) à l'occasion de ces pages spéciales consacrées au 35e Festival international de la bande dessinée d'Angoulême (du 24 au 27 janvier). Avant,ils s'étaient lancés non dans un duel,mais dans une petite conversation entre amis. Deux générations.Deux Grands Prix d'Angoulême,ainsi reconnus par leurs pairs.Deux voix.Une admiration commune.
Jean Giraud et Zep réunis par l'express,ont imaginé ce dessin inédit opposant amicalement Blueberry à Titeuf.
Zep: Jean est un auteur qui m'accompagne depuis très longtemps,puisque j'ai lu Blueberry quand j'étais gamin. Adolescent,j'ai découvert son double,Moebius,dans Métal hurlant.Pour les dessinateurs, c'est un maître. Un jour, France soir avait demandé à des auteurs de BD d'illustrer le journal. Tout le monde suait sang et eau. Jean, lui, produisait 15 dessins à la minute. C'était magique. Le trait coulait du crayon. Cela dit, il y a beaucoup de gens qui dessinent très bien... au service de pas grand-chose. Les dessins de Jean, eux, sont ce qu'ils doivent être. Parfois très riches, chez Giraud, parfois minimalistes, chez Moebius. Mais toujours exacts.
Giraud: C'est curieux, car j'estime, moi, que mon dessin est faible. Je manque de formation. Je n'ai pas étudié l'anatomie ni suivi d'études sérieuses sur la lumière. Le dessin classique à l'européenne, Rembrandt et les autres, je ne sais pas faire. J'ai des carences et j'en ressens une frustration certaine. Mais l'absence de formation académique m'apporte une fraîcheur. J'ai fait des centaines de dessins depuis cinquante ans et j'ai inventé une position de ma main pour que mon trait naisse dans de bonnes conditions. Cela reste mystérieux. Tout à coup, un miracle se produit. Cela dit, je n'ai pas toujours la grâce. Parfois, c'est approximatif. Par exemple, je ne saurai jamais dessiner l'attache du poignet.
Zep, vivez-vous la même frustration que Jean Giraud?
Giraud: Il ne peut pas la ressentir, car il n'est pas vraiment dans le champ du dessin réaliste.
Zep: J'ai pourtant l'impression d'être un dessinateur réaliste. Mes personnages ne le sont pas, mais je m'inspire du réel. Aujourd'hui, les codes de la BD humoristique ont éclaté. Tant mieux, car, dans les années 1980, on ne fonctionnait qu'en référence aux écoles américaine ou franco-belge. On ne se construisait qu'à partir de clichés, alors que chacun doit chercher son propre trait pour s'éloigner des anciens. Cela prend du temps.
Giraud: Il faut avoir en ligne de mire le fait qu'on peut demander à être accepté dans la famille de l'art et prendre la suite de David ou de Van Gogh. Mais il faut le demander à soi. Il faut se dire que Picasso, c'est un pote. Il n'a pas à être au-dessus de nous.
Vous dites cela parce que vous manquez de reconnaissance?
Giraud: Pas du tout. C'est un problème de soi avec soi. Ne pas se priver de l'extase est une recherche personnelle de l'accomplissement.
Enormément de bandes dessinées sont publiées chaque année. N'y a-t-il pas un risque de voir la qualité baisser?
Giraud: Il y a bien sûr des gamins qui lisent des albums médiocres. Mais, pour qu'un art vive, il faut qu'il se construise, comme une pyramide, sur une base structurée. Il faut les auteurs consensuels. Ils sont précieux. D'autant qu'ils produisent de grands succès: Astérix,par exemple.
Ah bon!?...
Giraud: J'adore Uderzo. Mais ce qu'il dessine, c'est du populaire consensuel. Si l'on regarde attentivement le trait de Zep, on y trouve une fragilité, une anxiété, un regard sur le monde. Dans Astérix, il n'y a rien de tout cela. C'est un rouleau compresseur de qualité, mais un rouleau compresseur quand même.
Zep: Je ne partage pas ton avis. Uderzo est un immense dessinateur.
Giraud: Je ne dis évidemment pas qu'Astérix, c'est mauvais. Je dis qu'il y a une facilité. Uderzo est un type généreux, sincère, mais qui travaille dans un objectif de qualité moyenne. Goscinny, lui aussi, limitait son ambition, peut être inconsciemment, car il avait trouvé l'endroit où il pouvait être le meilleur. Moi, mon ambition est sans limite. Je veux atteindre les étoiles chaque fois. Mais je n'y arrive pas toujours.
Zep: D'accord, mais ceux dont tu parles sont des artisans qui ont trouvé quelque chose qui fonctionne. Ils l'acceptent et perpétuent cette tradition.
Giraud: Je ne voudrais pas que ce discours soit mal interprété. Mais je maintiens que XIII, autre série consensuelle, permet à la BD de trouver sa légitimité commerciale et d'affirmer sa puissance économique. Et je maintiens également que si Van Hamme [scénariste de XIII] ou Uderzo n'existaient pas, ceux qui veulent travailler ailleurs, comme moi, seraient foutus. C'est aussi pour cette raison que j'ai créé mon propre écosystème: le succès de Blueberryme permet d'être Moebius.
Zep, vous connaissez un énorme succès. N'est-ce pas une belle cage dorée?
Zep: Le succès permet d'être à l'abri des soucis financiers. La seule chose qui me pousse en avant, c'est dessiner. Je n'ai pas le désir de vendre plus d'albums, j'en vends déjà beaucoup. Mais, contrairement à ce que dit Jean, le succès n'est pas consensuel et l'ambition, pas forcément réservée à trois lecteurs.
Giraud: C'est parce que tu as une vision trop architecturale de la pyramide dont je parlais. Elle est vivante. C'est un être collectif constitué de destins, de vies personnelles.
Comment vivez-vous la déferlante manga?
Zep: Je la trouve enthousiasmante. Tant mieux si elle vient bouleverser la donne. Avant, la culture BD se résumait à Tintin, Spirou, Lagaffe et Blueberry. On était sur des schémas sclérosés. Actuellement, les gars de 20 ans ont à peine lu Gaston Lagaffe. Et vivent la culture de la «bédé fusion». A l'époque de Jean, quand un gamin disait qu'il voulait être auteur de BD, au pis, c'était une honte, au mieux, une lubie. Aujour-d'hui, je rencontre de nombreux enfants qui s'imaginent auteurs, mais qui ne dessinent pas particulièrement bien. Le dessin classique et exigeant a disparu. Mais, du coup, le métier leur est accessible. Un type sort un album et tu ne sais pas d'où il vient.
Giraud: Moi, ça me fout les jetons, car nos albums ne s'exportent pas. Les mangas s'entassent sur les rayons des librairies et pas un album français n'est publié au Japon. Les libraires me disent d'arrêter de sortir des BD qui n'intéressent personne et qui, sur les rayons, prennent la place des mangas.
Vous allez élire le prochain Grand Prix. Vous allez voter pour qui? Taniguchi? Sfar?
Zep: Le problème est de savoir s'il faut rattraper les anciens oubliés ou regarder l'avenir.
Et donc...?
Giraud: ...
Zep: ...
Philippe Chappuis, dit Zep
15 décembre 1967 Naissance à Genève (Suisse).
1979 Lance un fanzine qu'il baptise Zep en hommage au groupe Led Zeppelin.
1985 Entre au magazine Spirou.
1993 Parution du tome I de la série Titeuf: Dieu, le sexe et les bretelles (Glénat).
2004 Grand Prix de la ville d'Angoulême.
2006 Titeuf (tome XI). Mes meilleurs copains.
Jean Giraud
1938 Naissance à Nogent- sur-Marne (Val-de-Marne).
1963 Parution, dans Pilote, de Fort Navajo, premier volume de la série Blueberry.
1975 Création de Métal hurlant.
1981 Grand Prix de la ville d'Angoulême.
2007 Sortie de La Version irlandaise, sur un scénario de Jean Van Hamme, avant-dernier tome de la série XIII.
2007 Inside Moebius III.
Sujet: Rencontre Jean Giraud - Zep 
Lun 9 Mar 2009 - 7:27
